Conférence de presse du 15 juin 2009
Salaires des managers : un cartel salarial malgré la crise
Depuis 2005, Travail.Suisse enquête sur les salaires des membres des directions et des conseils d’administration de 27 groupes suisses. Les écarts salariaux qui s’amenuisent en partie durant l’année civile 2008 semblent éveiller l’espoir d’un changement de mentalité dans les têtes dirigeantes. Mais un examen plus poussé le relativise clairement et la comparaison sur plusieurs années ne laisse en fin de compte plus de place au moindre doute. Le cartel salarial malgré la crise, les salaires des managers ne cessent de dévoiler la mentalité de profiteur qui sévit dans les cercles des dirigeants.
Matthias Humbel, collaborateur projets, Travail.Suisse
C’est la cinquième fois de suite que Travail.Suisse, l’organisation faîtière indépendante des travailleuses et des travailleurs, examine les salaires des topmanagers de 27 entreprises suisses. Et même en 2008, ces derniers n’ont pas connu la mesure. En sept ans, les salaires des membres de la direction des groupes ont augmenté de 83 %. Par comparaison, durant la même période, les salaires nominaux des travailleuses et des travailleurs pour toute la Suisse ont crû de tout juste 8,4 %, c’est-à-dire seulement 1,3 misérable pourcent réel. Depuis 2002, l’écart salarial entre le salaire le plus bas et le salaire moyen des membres de la direction s’est accru de 72 %.
L’étude en détail
De qui s’agit-il ?
Commencée en 2005, l’enquête sur les salaires de Travail.Suisse porte sur 27 entreprises suisses de diverses branches . Vingt-trois d’entre elles sont cotées en bourse, deux sont des entreprises de la Confédération et deux sont des coopératives. L’étude porte sur les années 2002 à 2008 et présente non seulement des résultats à court terme mais permet aussi de suivre l’évolution sur plusieurs années.
D’où viennent les données ?
La matière provient essentiellement des rapports d’activités des groupes en question. Lorsque ces derniers présentent des lacunes au niveau des informations sur les rétributions, par exemple lorsque le paquet de titres n’est pas inscrit à la valeur du marché, Travail.Suisse les a calculées. Les données concernant les salaires les plus bas découlent pour la plupart des entreprises elles-mêmes, des fédérations affiliées à Travail.Suisse (Syna, transfair, Employés Suisse), des recommandations salariales de la sec suisse ou des enquêtes suisses sur la structure des salaires de l’Office fédéral de la statistique. La source est indiquée en annexe.
Quel est l’objet de la publication ?
Les données recueillies dans l’enquête sur les salaires des managers de Travail.Suisse sont présentées en annexe sous forme d’un classement des plus hautes rémunérations (annexe 1) ainsi qu’une vue d’ensemble des écarts salariaux entre le salaire le plus bas et le salaire le plus élevé, le salaire moyen par membre de la direction du groupe ainsi que la rémunération par membre du Conseil d’administration (annexes 2 à 4). Le cartel des salaires (annexe 5) ainsi qu’une liste des chiffres d’affaires et des bénéfices des groupes enregistrés dans la base de données (annexe 6) se trouvent également en annexe. En outre, les annexes 2 à 4 ainsi que la 6e montrent en un coup d’œil l’évolution depuis 2002.
Les résultats – ABB obtient l’Ecart salarial de Travail.Suisse 2008
La crise commence à laisser des traces…
Tandis que pour certaines branches toute l’année 2008 s’est tenue sous le signe de la crise – en premier lieu la branche financière mais des entreprises comme Clariant ou Ascom y ont aussi laissé des plumes – 2008 a été pour d’autres entreprises, par exemple ABB, Schindler, Nestlé ou Novartis, une année tout à fait réjouissante. Un coup d’œil sur l’ensemble de l’échantillon montre toutefois que 2008 a été marqué par la crise. Toutes les branches examinées par Travail.Suisse ont vu leur chiffre d’affaire diminuer de 10 %, les bénéfices ont même reculé de 56 %, ceci après qu’en 2007 déjà il ait fallu supporter un recul de 20 % des bénéfices. Et la valeur des actions a également accusé une baisse de 43 % (cf. annexe 6, Chiffres d’affaires et bénéfices).
… mais pas sur les salaires des managers
La tempête sévit mais les topmanagers ne semblent pas particulièrement impressionnés. De 2007 à 2008, le salaire moyen d’un membre de la direction a reculé enfin de 4% ; l’écart salarial déduit par Travail.Suisse, c’est-à-dire le rapport entre le salaire moyen par membre de la direction et le salaire le plus bas, s’est réduit d’un montant misérable de 6 %. Or, dans onze entreprises – ABB, Bâloise, Clariant, Implenia, Kuoni, Nestlé, Novartis, Ruag und Schindler – les écarts salariaux se sont encore creusés.
Mais un écart salarial qui se réduit ne signifie pas pour autant que les salaires des managers ont reculé (respectivement que les salaires les plus bas ont augmenté). En effet, la chute du cours des actions joue aussi un rôle essentiel, par exemple pour les salaires des directions des groupes comme Bobst, Georg Fischer ou Swatch. Par ailleurs, Ascom, Helvetia ou Valora n’ont pas accordé les bonus spéciaux de l’année précédente (cf. annexe 3, Ecart entre le salaire moyen d’un membre de la direction et le salaire le plus bas). Les cours de change en chute libre peuvent aussi exercer une influence, comme dans le cas de Zurich Financial Systems. La Zurich calcule les salaires des managers en dollar, et celui-ci a perdu 10 % de sa valeur par rapport au franc suisse.
Depuis 2002 : les écarts salariaux ont augmenté jusqu’à 264%
Censées être positives, ces impressions disparaissent dès qu’on examine sur le long terme l’évolution des salaires des directions de groupes. Pour une fois, seules cinq entreprises sur 27 accusent une réduction de l’écart salarial 2008 par rapport à 2002 ; en revanche, dans les 22 restantes, l’écart entre le salaire le plus bas et le salaire d’un membre de la direction a crû démesurément durant les sept dernières années. ABB (+ 264 %), Bâloise (+ 259 %) et Lonza (+ 215 %) caracolent en tête de classement avec des augmentations largement au-dessus de 200 %, tandis que pour huit entreprises cet écart se monte à plus de 100 % et pour treize d’entre elles il se situe au-dessus de 50 %. En moyenne, les écarts salariaux ont augmenté de 72 % depuis 2002.
ABB obtient l’Eclart salarial 2008 de Travail.Suisse
Comme par les années passées, Travail.Suisse décerne cette année son Ecart salarial à l’entreprise qui montre la plus forte croissance de l’écart entre le salaire le plus bas et le salaire moyen d’un membre de la direction. C’est auprès du groupe industriel ABB qu’on trouve de loin la plus forte progression de l’écart salarial 2008 : d’un rapport déjà démesuré de 1 contre 93, il est passé à 1 contre 158, ce qui représente une progression de de 70 %.
Salaires record au sommet de l’entreprise
Mais ABB tient également le haut du pavé en ce qui concerne l’évolution du rapport entre les extrêmes. Tandis que le salaire de Fred Kindles se situait « seulement » à un montant 211 fois plus élevé que le salaire le plus bas payé dans l’entreprise, cet écart a doublé lors de l’arrivée de Joe Hogan pour atteindre le multiple de 427 fois le salaire le plus bas. Or, la palme des rémunérations les plus élevées (cf. annexe 1, Classement des rémunérations les plus élevées) revient à Daniel Vasella. Son salaire, de plus de 40 millions de francs, correspond à un écart salarial absolument incroyable de 1 contre 720. En plein milieu de la crise, un record à valeur de contre-exemple.